Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

grece antique

  • Qu'est-ce que le paganisme ?

    La jeunesse de bacchus,Youth of Bacchus, Dionysos,BouguereauSi répéter des conneries en boucle ne les rend pas vraies pour autant, ça a le fâcheux effet de les ancrer dans l’inconscient collectif. C’est ainsi que depuis des siècles, sous l’influence des religions monothéistes, on déverse sur le polythéisme antique un tombereau de calomnies dans lesquelles la mauvaise foi le dispute à l’ignorance. L’islam et le christianisme, qui ont foutu la merde de Dunkerque à Tamanrasset avec leurs histoires à dormir debout, leur intolérance invraisemblable et leur morale pourrie ont d’ailleurs tout intérêt à faire croire qu’auparavant, tout n’était que ténèbres. Et ça marche. De nos jours, le crétin de base est persuadé que le paganisme consiste à vénérer des statues et à égorger des jeunes filles nues sur un autel, comme dans les péplums.


    Il ne faut pas être grand historien pour savoir que les anciens Grecs, par exemple, étaient assez malins pour ne pas confondre un dieu et sa représentation : on trouvait dans chaque ville des statues de Zeus, il n’y avait pas pour autant cinquante Zeus sur l’Olympe. Quant aux rares exemples de sacrifices humains attestés à l’époque classique ou hellénistique, cela se limitait d’habitude à liquider deux ou trois prisonniers de guerre pour encourager les soldats. Et honnêtement, venant de gens qui dédouanent les religions actuelles des atrocités commises à l’échelle industrielle en leur nom depuis des siècles, je trouve un peu fort de café d’accabler l’antiquité pour quelques bonhommes sacrifiés à Bélénos ou Apollon.


    Mais ces enfantillages ne sont pas très intéressants. Ce qui l’est davantage, c’est de comprendre en quoi le paganisme (au sens large, pas uniquement la religion, mais la pensée en général) se caractérise. Même si l’on n’y adhère pas, la démarche est autrement plus enrichissante que de répéter les bêtises habituelles, car cela permet de se positionner sur l’échiquier des idées. Je dirais donc que la pensée antique se caractérise par :
     
    -Une attention à la pluralité. Pluralité des causes, des points de vue, des dieux, des hommes. Renverser et briser une tasse de café à terre n’est pas un évènement à cause unique : les causes en sont l’inattention, les dimensions de la table, la solidité de la tasse, la dureté du sol, etc. La cause unique, c’est l’invention des esprits paresseux qui refusent de chercher ces multiples causes et se contentent d’une seule. La pluralité des points de vue, c’est ce qui permet le débat, la réflexion, la philosophie. Il n’y a pas une vérité qui s’impose éternellement, on peut discuter de tout et tout remettre en cause, chaque avis ayant sa valeur s’il est étayé.


    Cette pluralité s’oppose évidemment au manichéisme. Il suffit de comparer l’ancien testament et Homère pour voir toute la finesse qui en résulte. Les ennemis des Grecs, les Troyens ne sont pas des suppôts du diable, ils ont certains dieux de leur côté, ont leurs raisons de se battre, ils ont des sentiments et de la noblesse. Il n’a pas de conflit entre Bien et Mal, seulement des luttes entre différentes forces, différentes causes, servies par des gens plus ou moins honnêtes ou intelligents dans chaque camp. Bush junior et nos progressistes feraient bien fait de lire l’Iliade, ça leur permettrait d’éviter de diviser le monde entre gentils et méchants.
     
    -Importance de l’immanence, du terrestre. Les dieux Grecs, d’ailleurs, excepté chez certains philosophes, ne sont pas conçus comme en dehors du monde, mais dans le monde. Les dieux grecs sont la personnification de réalités tangibles : la nature, la beauté, le plaisir, la ruse, l’intelligence. Les dieux sont donc visibles, et la foi n’a par conséquent aucune place dans le polythéisme. Puisque le monde visible est la seule réalité, l’au-delà n’a du coup pas la même importance que dans les religions de salut actuelles (le polythéisme égyptien, qui a d’ailleurs pas mal influencé le judaïsme, est à part). Entre autres avantages, ça évite d’avoir des illuminés qui se font exploser pour aller au paradis.
     
    -L’absence de morale religieuse. La morale est une affaire humaine et les esprits quelque peu affutés ont très vite réalisé qu’elle variait en fonction des pays et des époques, sans qu’un modèle évident arrive à s’imposer. Du coup, la littérature religieuse des anciens se limitait essentiellement à des récits mythiques et à des hymnes. Pas de livre révélé vous expliquant comment votre femme doit s’habiller ou si vous avez le droit de câliner la voisine.
     
    On pourrait sans doute trouver d’autres points, mais ceux-ci me semblent résumer l’essentiel et contenir en germe tous les autres. Les plus attentifs de mes lecteurs auront remarqué que cet esprit est en quelque sorte la négation de tout ce qui nous dérange actuellement dans les religions : la vérité incontestable des livres soi-disant révélés, le manichéisme, l’obsession de l’au-delà, le puritanisme malsain. M’est avis d’ailleurs que pas mal de gens, homologues spirituels de M. Jourdain, sont païens sans le savoir.

  • Pourquoi les dieux grecs ne devraient-ils plus nous concerner ? (Walter F. Otto)

    athena pensive

    "Nous admirons les grandes oeuvres des Grecs, leur architecture, leur sculpture, leur poésie, leur philosophie et leur science. Nous avons conscience qu'ils sont les fondateurs de l'esprit européen, qui depuis tant de générations s'est toujours à nouveau tourné vers eux, en des renaissances plus ou moins marquantes. Nous reconnaissons qu'ils ont, presque en tout, à leur manière, créé l'incomparable, que ce qu'ils ont créé vaut de façon exemplaire pour toutes les époques (...)

    Nous lisons Homère comme s'il avait écrit pour nous, nous restons saisis devant les effigies des dieux grecs et les édifices des temples, nous suivons bouleversés le violent advenir de la tragédie grecque.

    Mais les dieux eux-mêmes, de l'être desquels témoigne statues et sanctuaires, les dieux dont l'esprit déploie son règne dans toute la poésie d'Homère, les dieux que célébrent les chants de Pindare, et qui dans les tragédies d'Eschyle et de Sophocle donnent à l'existence humaine sa mesure et son but, devraient-ils vraiment ne plus nous concerner ?

    Ne devons-nous pas dire que les oeuvres impérissables ne seraient jamais, sans les dieux, devenues ce qu'elles sont, et justement ces dieux grecs qui semblent ne plus nous concerner ?"

    Walter Otto, Théophania, Introduction, traduction de J. Lauxerois et C. Roels)

  • Faut-il admirer Sparte ?

    sparte, lambda, bouclier spartiate

    Depuis 25 siècles, de beaux esprits admirent la plus militariste et anti-intellectualiste des cités grecques, j’ai nommé Sparte. Tout d’abord, les grands philosophes athéniens, toujours prêts à se faire laquais des tyrans et à vomir sur la démocratie et l’isonomie de leur cité. Eux qui ne cessaient de pourfendre la poésie, les mythes, l’art oratoire, bref tout ce qui faisait la Grèce antique, étaient ravis de voir une cité partageant leur haine de l’art. Une cité astreinte à des lois absurdes, qui ne vivait que pour la guerre. Les « laconisants » étaient du reste légions à Athènes, chez les jeunes cons et les vieux fous. L’herbe est toujours plus verte ailleurs.

    De nos jours, les féministes se pâment devant la condition féminine à Sparte, bien meilleure que chez ces talibans d’Athéniens ! Gageons que si l’on pouvait remonter dans le temps, faire de l’athlétisme à poil ne les botterait pas trop, et qu’au bout de 8 jours, elles chialeraient pour qu’on les emmène à Athènes ou Corinthe. Gageons aussi que si elles connaissaient un peu l’histoire, elles préféreraient de loin la condition de la femme à l’époque hellénistique ou romaine, plutôt que de se faire une fixette sur Sparte; mais bon, on ne peut forcer personne à se faire une culture.

    Il y a aussi les ados qui fantasment d’exploits guerriers, et vouent une admiration sans bornes pour Sparte. Ce sont encore les moins bêtes des « spartophiles », car si Sparte est admirable en quelque chose, c’est bien dans ce domaine, quoiqu’elle soit loin d’être la machine de guerre la plus redoutable de l’antiquité (à coté de l’empire Assyrien, Perse, Romain, par exemple, Sparte n’était pas grand-chose, quoiqu’elle ait produit certains des meilleurs généraux antiques, et des soldats de grande classe).

    Sparte a enfin un certain succès dans les milieux nationalistes. Des patriotes de bonne foi croient y voir un exemple de probité, d’amour de la patrie, etc. Raté, la Sparte de l’époque classique a eu un comportement tout sauf irréprochable à l’époque de la menace perse. Lors de la première guerre médique, elle a laissé Athènes seule contre l’envahisseur. Elle a ensuite abandonné les cités grecques d’Ionie à leur sort. C’est en grande partie grâce à l’or perse que Sparte a gagné la guerre du Péloponnèse. Et l’on pourrait multiplier les exemples, qui prouvent que Sparte était tout, sauf un modèle de patriotisme grec et de résistance à l’envahisseur.

    En bref, il existe bien un mythe spartiate, qui, depuis 2500 ans, pousse toutes sortes d’esprits tordus, faibles ou mal informés, à admirer la moins admirable des cités grecques. Un état bananier et militariste détestable, qui n’a légué aucune grande figure intellectuelle ou artistique aux siècles futurs. Si toute la Grèce avait été à l’image de Sparte, il n’en resterait rien aujourd’hui.

    Pour aller plus loin, je conseille la lecture de l’article « Luxe » du dictionnaire philosophique de Voltaire, qui règle leur compte aux spartophiles (à commencer par ce crétin de Rousseau).