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Littérature

  • Thulé, le soleil retrouvé des Hyperboréens, de Jean Mabire

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    Après la wicca, les pseudo-chamans, et toutes les conneries prétendument païennes dont le monde contemporain est rempli, plus rien ne saurait m’étonner. La lecture de Jean Mabire, pourtant, a presque réussi ce tour de force. Je m’étais promis depuis longtemps de lire son livre consacré à la société Thulé, car le bougre est l’un des rares francophones à aborder le sujet passionnant des résurgences païennes en Europe au début du 20ème siècle. Et en un sens, je n'ai pas été déçu.

    Tout d’abord la forme. Jamais je n’ai vu une grandiloquence aussi facile et aussi permanente. N’étant pas de gauche, je n’ai rien contre les adjectifs, et le style dépouillé d’Albert Camus me fiche la nausée. Mais quand même, est-il bien raisonnable qu’une phrase de vingt mots colle un adjectif à chacun de ses cinq noms communs ? A moins d’avoir une intention satyrique ou humoristique, c’est évidemment surchargé. On croirait voir la rédaction d’un gamin qui a trop lu Théophile Gautier. Autre souci : presque chaque chapitre se termine comme une page de tintin, et fabrique un suspens artificiel digne d’un roman feuilleton. Autant dire que ça commence mal.

    Mais il y a bien pire. Jean Mabire, qui ne cesse de se dire historien, et de critiquer les illuminés qui disent que le Bouddha parle de l’Atlantide, n’a pas le début d’une once de méthode historique. Son œuvre est pleine de parti pris, de postulats, de raccourcis. Il relie le succès de Gobineau en Allemagne avec l’essor des sciences historiques, qui est bien antérieur (on le fait remonter habituellement à Friedrich August Wolf, mort en 1824, quand Gobineau avait 8 ans…), et n’a donc aucun rapport avec cet écrivain. Il situe avec autorité le foyer originel des Indo-Européens en Scandinavie, ce qui est loin d’aller de soi. Il balaye d’un revers de main l’idée de romantisme français, car dit-il, Victor Hugo sonne faux et Musset papillonne dans les salons, pour exalter ce grand niais de Bernardin de saint Pierre. Oui, cet auteur dont l’héroïne, Virginie, est une bigote catholique ridicule qui crève en voulant nager toute habillée, parce qu’à l’instar de nos burkini-girls, elle ne veut pas montrer ses cuisses. Si c’est là le fameux « retour à Thulé », je n’en serai pas, je le crains.

    Le point commun de toutes ces démonstrations plus ou moins bien étayées : une germanophilie sans doute un peu trop passionnée, et un parti pris anti-français regrettable. Ainsi qu’un intérêt prononcé pour l’antiquité auquel, hélas, il manque la culture antique. Etonnant, surtout de la part d’un bibliomane.

    On entend ainsi parler du « césarisme à l’orientale » de Napoléon. Je ne savais pas que César avait puisé ses modèles politiques en Orient. Quant aux Grecs (dont la civilisation, pour Jean Mabire, semble se résumer à l’expédition de Pythéas et à Sparte), on leur reproche leur « gout de l’égalité », comme si l’isonomie, à savoir l’égalité devant la loi, à laquelle étaient attachés les contemporains de Périclès, avait un quelconque rapport avec l’égalité prônée par la gauche actuelle. Si c’était le cas, d’ailleurs, on se demande bien comment Nietzsche, grand contempteur de l’égalitarisme, aurait vu dans la Grèce antique l’une de ses sources d’inspiration majeures.

    On apprend en outre que l’essentiel des philosophes européens sont Allemands. Platon, Aristote, Plotin et bien d’autres auraient été ravis de l’apprendre. Mais passons.

    Notre auteur a encore un autre défaut : celui de ne retenir, chez tel ou tel personnage, que ce qui arrange sa démonstration. Il nous fait ainsi l’apologie d’Henri de Boulainvilliers, écrivain et astrologue, qui renoue, par ses considérations sur la race et sa croyance au fatalisme, avec l’esprit nordique. Je ne savais pas les Scandinaves anciens férus d’astrologie, cette pseudo-science si typiquement orientale…

    Parlons aussi du fameux Sebottendorf, astrologue également, mais aussi aventurier et activiste politique, qui est le héros du livre. Le bonhomme, présenté comme l’un de ceux qui, au XXème siècle, renoue avec la tradition indo-européenne, a combattu dans l’armée turque lors de la guerre des Balkans, soit contre les Grecs, les Serbes et les Bulgares. Contre des Européens, donc, qui cherchaient à se libérer de la domination ottomane. J’adore, vraiment. Avouons que pour quiconque se prétend européen, il y a de quoi voir rouge. Mais comme cela n’arrange pas la démonstration du livre, ce n’est mentionné qu’en passant, pour donner au « baron » (en réalité de famille ouvrière) un alibi militaire bien pratique, censé, j’imagine, le dédouaner de sa passivité pendant la première guerre mondiale… Pendant la seconde, devenu consul dans sa chère Turquie, il ne sera connu que pour fournir aux services secrets allemands des histoires à dormir debout. Mais comme cela ne grandit pas le personnage, notre historien oublie d’en parler.

    A vrai dire, tout cela est navrant. Jean Mabire pourrait écrire très bien, s’il ne versait pas dans le lyrisme permanent et dans le suspens facile. Il pourrait être passionnant, s’il traitait vraiment le sujet qu’il aborde, au lieu de le survoler en ne retenant que ce qui l’arrange. Il gagnerait beaucoup aussi à ne pas réduire l’Europe au monde germano-scandinave et à ne pas reprendre les préjugés antiromains et antifrançais de la frange la plus bête des germanisants des années trente (que Hitler lui-même raillait d’ailleurs à longueur de temps, car il adorait l’empire romain, et se voyait bien davantage héritier des Grecs que des Germains, soit dit en passant)

    Dernière chose, quitte à me faire des amis : ce livre m’a rappelé ceux de Christopher Gérard, autre écrivain païen de droite et accessoirement lecteur de Jean Mabire, que je devrais logiquement apprécier, mais qu’au final je ne parviens pas à aimer. Même gout un peu outré du beau style, même genre de grandes formules censées tout résoudre, même tendance à se répéter encore et encore, même érudition ostentatoire et creuse. Faire l’éloge de l’empereur Julien, dernier grand empereur de Rome, qui a tenté de s’opposer au double raz-de-marée de l’Eglise et des barbares, c’est très bien. Encore faut-il avoir des choses à dire, et ne pas répéter toujours le même paragraphe de livre en livre. Je connais un ancien facteur qui pourrait parler de cet empereur des heures durant. Il est fâcheux de voir l’auteur d’une dizaine de livres, agrégé de lettres classiques, ne pas savoir en faire autant. Jean Mabire a le même souci : il aligne les noms, sans jamais savoir en dire grand-chose. Il brasse très large, mais ses références lui glissent comme du sable entre les doigts. Au final, il ne reste rien, à part de la politique.

    C’est, au fond, tout le problème de la droite identitaire actuelle : elle adore l’histoire, mais ne la connait que de manière superficielle. Catholique, elle exalte un baptême de Clovis dont l’historicité reste à prouver, et ce taliban de saint Martin, qui a passé sa vie à démolir le patrimoine architectural gallo-romain. Païenne, elle idolâtre Sparte et les Vikings, en ignorant superbement à peu près tout le reste. Si par miracle on lit Homère ou Plutarque, c’est en traduction. Et surtout, surtout, c’est pour en retenir, comme le camp d’en face, des leçons apprises à l’avance. Résultat : une antiquité, au pire fantasmée, au mieux de seconde main. Une caution, non une source d’inspiration réelle. On exalte les Thermopyles pour en tirer une leçon de patriotisme, comme un gauchiste appellerait à son secours les Gracques pour justifier son envie de s’emparer des sous du voisin. Cette antiquité de façade et de propagande ne m’intéresse pas. Non pas certes que je me refuse à tirer des leçons politiques ou morales de l’histoire. Mais une certaine finesse ne serait pas de refus.

    Machiavel, auquel la droite inculte de Valeurs Actuelles compare Macron, me parait un très bon exemple de ce que peut donner une analyse du présent à la lumière du passé. C’est que Machiavel, à la différence des grands esprits actuels, lisait vraiment les auteurs anciens, et n’y cherchait pas la confirmation d’opinion préétablies. Il adore Tite-Live, mais n’hésite pas à le contredire. Et ses critiques viennent d’une réflexion authentique, sans être cousues par le fil blanc d’une idéologie qui explique tout à l’avance.

    La droite identitaire actuelle fait tout le contraire : elle joue avec l’antiquité, elle s’en sert comme d’une référence illustre pour intimider les gauchistes, dont la connaissance historique est, il est vrai, très limitée quand on remonte au-delà de 1789. Mais au fond, les gens comme Alain de Benoist sont plus à l’aise avec Ernst Jünger ou René Guénon qu’avec Plutarque ou Xénophon.  Ils connaissent mieux la Révolution conservatrice allemande que l’aristotélisme ou le platonisme. Ils consacrent, comme Jean Mabire, plus de pages à Rudolf von Sebottendorf qu’à Pythéas de Marseille. C’est, ma foi, un véritable cas d’école montrant le fossé qu’il peut y avoir entre la culture revendiquée et la culture réelle. Un peu comme un homme qui se dirait wagnérien, mais n’écouterait que du Mozart. Ce n’est, en fait, que l’équivalent païen du catholique moyen, qui se réclame des Evangiles, mais lit plus volontiers des auteurs contemporains que saint Jean ou saint Luc…

    Poussé à l’extrême, cela donne les « Identitaires » qui n’ont que Poitiers, Lépante et les Thermopyles à la bouche. La lutte entre Occident et Orient est certes une réalité de l’histoire. Mais schématisée, simplifiée, romancée à ce point, elle n’est plus qu’un jouet politique, si grossier qu’il ridiculise ceux qui y font référence. Ces mecs qui arborent le lambda d’une ville dont ils ne connaissent à peu près rien pour justifier leur rejet de l’immigration tendent la perche à leurs adversaires. Leurs coups de com ne changent rien, et ne font que donner l’occasion à BFMTV de s’inquiéter de la montée des extrêmes. On est là dans l’agitation bête et méchante. Une véritable réaction nationale n’a pas ce côté provocateur et groupusculaire : elle s’impose comme une évidence.

    Tout comme les gesticulations des Identitaires, l’aboutissement du « retour à Thulé » parle de lui-même. Avec Sebottendorf, qui en est l’étendard, cela n’a abouti qu’à combattre pour l’armée turque contre les Grecs, à mener des complots de conventicule, et à fonder une sorte de franc maçonnerie de droite groupusculaire, qui n’est connue que parce qu’une de ses branches a cofondé le DAP, devenu ensuite NSDAP. Ce qui a poussé pas mal d’illuminés à échafauder des théories folles, et à prêter à ce brave « baron » une importance démesurée. Croire qu’Hitler doit, ne serait-ce qu’en partie, son essor à la société Thulé tient du délire, car un pareil animal politique aurait percé d’une façon ou d’une autre dans l’un des innombrables groupes d’extrême droite qui fleurissaient à l’époque, à cause de la défaite de 1918 et de l’agitation communiste qui menaçait toute l’Europe. Notons d’ailleurs que l’essor du DAP ne doit rien à Sebottendorf, qu’il ne comptait qu’une cinquantaine de membres lorsque Hitler y a adhéré, et que ce sont les talents d’orateur de ce dernier qui ont seuls donné vie à ce parti, qui végétait jusqu’alors.

    Mais tout cela ne désarçonne aucunement nos « hyperboréens », dont certains, après-guerre, semblent avoir des leçons à donner, notamment sur la conduite de la seconde guerre mondiale. Il n’aurait, parait-il, pas fallu s’allier à l’Italie, ce qui aurait, dans la pensée stratégique simpliste des amis de l’auteur, épargné à l’Axe l’aventure africaine de Rommel. Comme si l’Allemagne pouvait se permettre d’ignorer le sud (qui il est vrai, n’a pas les faveurs de Jean Mabire), et cette Méditerranée (décidément trop peu hyperboréenne) sur laquelle régnait l’Angleterre. Il ne vient pas une seconde à l’idée de ces grands stratèges qu’avec une Italie neutre, voire basculant du coté allié comme en 14-18, c’était la catastrophe assurée. L’Italie ne s’est certes pas distinguée, mais sans sa flotte, sans ses bases aériennes, les anglo-américains auraient eu quartier libre pour attaquer dès 1942 le flanc sud de l’axe. Et pour acheminer troupes, pétrole et matériel en quantité astronomique sans problème. Même un gamin de 15 ans qui joue aux wargames pourrait s’en rendre compte.

    Bref, pour qui s’intéresse aux Indo-Européens, à l’entre-deux-guerres ou au mysticisme national-socialiste, il y a largement mieux, à commencer par les encyclopédies en ligne, qui proposent sur ces sujets des textes bien plus solides et consistants. Plus qu’à un livre d’histoire, on a ici affaire à une sorte de patchwork mêlant des théories fumeuses, des biographies succinctes, des raccourcis et parti-pris en tout genre et une insupportable grandiloquence. Qu’une bouillie pareille soit un des livres de référence de la droite néopaïenne actuelle en France est à la fois surprenant et révélateur. A force de lire des bêtises pareilles, le chef de file de la nouvelle droite, Alain de Benoist, grand ami de Jean Mabire, en vient d’ailleurs à voter Mélanchon. Le fameux retour à Thulé, j’imagine.

  • Eschyle à la Sorbonne: exemple d'une pitrerie universitaire au 21ème siècle

    La bêtise a cela de prodigieux qu’elle se renouvelle sans cesse et nous surprend toujours. Dernier exemple en date : un spécialiste du théâtre grec n’a rien trouvé de mieux, pour une représentation à la Sorbonne, que de grimer ses actrices en noir. Parait que c’est pour coller au texte et ne pas faire comme ce benêt de Waterhouse (que les féministes anglais trouvent d’ailleurs sexiste, parce qu’il peignait des femmes). Résultat de cette pitrerie : les associations antiracistes hurlent au blackface (et pour une fois, j’en tombe des nues moi-même, je trouve qu’ils n’ont pas tout à fait tort), tandis que leurs sympathisants accusent carrément Eschyle, qu’ils n’ont jamais lu, de « négrophobie » et ont, dans un élan digne des plus belles heures staliniennes, empêché la pièce de se tenir. Pendant ce temps, la droite réac, dans une réaction pavlovienne totalement stupide, défend ce prof gauchiste et lance des appels stridents à défendre notre « patrimoine plurimillénaire ». Pas sûr que les acteurs de la Grèce antique se soient jamais barbouillé la tronche ainsi, mais passons. Le ministère de la culture, défenseur en son temps du sapin de Noël progressiste de la place Vendôme, fait bloc, et défend la liberté de création. C’est fort bien, mais le problème n’est pas là.

    Franchement, il suffit d’ouvrir les yeux deux secondes pour voir le ridicule et la maladresse de cette mise en scène, surtout dans le contexte actuel. Être « grand spécialiste du théâtre antique » déconnecte-t-il du réel à ce point ? Pour ma part, quoique féru de littérature antique, je me moque un peu de la couleur des Danaïdes. Mais si le metteur en scène, voulant « montrer l’importance de l’Afrique » dans la civilisation grecque, veut des Danaïdes de couleur, pourquoi diable n’a-t-il pas été chercher des actrices de couleur ? Pourquoi ce grimage aberrant, qui, à vrai dire, évoque plus Tintin au Congo que l’antiquité grecque ?

    Mais évidemment, impossible, dans cette société d’hystériques, d'avoir un avis un tant soit peu pondéré. Il faut soit vouer aux gémonies Eschyle lui-même, qui n’a pourtant rien à voir avec les fantaisies des metteurs en scène actuels, soit défendre mordicus ce spectacle grotesque, sous prétexte que l’auteur est professeur d’université. C'est d'autant plus cocasse que 99/100 des journaleux et polémistes qui abordent ce sujet ignoraient probablement l'existence cette pièce, voire d'Eschyle lui-même avant que cette affaire n'éclate.

    En fait, et c’est assez drôle, M. Brunet s’est fait prendre à son propre jeu. Son hommage à l’influence, toute relative, de la culture africaine sur le théâtre grec, ne plait pas aux intéressés. Ni aux gauchistes, qui dans la foulée se mettent à rechercher tout ce qui pourrait avoir l’air raciste chez Eschyle, Euripide et cie, histoire d’avoir un bon prétexte pour jeter toute notre culture à la poubelle. Bref, au lieu de faire connaître Eschyle et son œuvre, notre sorbonnard d’élite n’aura réussi qu’à provoquer une des plus absurdes polémiques de ces dernières années. Bien joué, professeur !

  • Rimbaud, Verlaine et la décadence de la poésie

     

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    Tous ceux qui ne lisent jamais de poésie vous le diront : Rimbaud et Verlaine sont les poètes par excellence. Des auteurs intouchables, indépassables, qu’on ne peut qu’aduler. On a le droit de trouver Victor Hugo ennuyeux, avec ses milliers d’alexandrins et ses poèmes interminables. Mais les deux compères, interdit de les critiquer (je mets d’ailleurs au défi quiconque de me trouver un texte récent ébauchant ne serait-ce que des réserves à leur égard). Dans le milieu littéraire, bien entendu, mais aussi sur le net ou dans les cafés, d’habitude si prompts à brûler ce que le système adore.

    Il faut dire que les auteurs du fameux sonnet du trou du cul ont tout pour plaire. Pour commencer, ils étaient homosexuels, ce qui fait toujours bon effet et contribue à leur donner aujourd’hui encore une aura particulière ; ajoutons à cela un zeste de vagabondage et un épisode violent. Tous les ingrédients sont réunis pour créer des baudruches littéraires pseudo-dissidentes. Dit plus simplement : des « poètes maudits ». Le notable ump-Figaro bien sous tous rapports les lira presque en cachette (j’ai bien dit presque), comme on lit les Fleurs du mal au 21ème siècle, avec le frisson qu’offrent les transgressions qui n’en sont plus. Le socialiste militant revendiquera leur orientation sexuelle comme un étendard, pour rentabiliser politiquement ses lectures et se donner une image d’intello. L’ado de 15 ans s’imaginera rebelle et non-conformiste, en lisant ça après avoir surfé sur Twitter et Facebook, écouté de la pop anglaise et regardé un film américain.

    Bon d’accord, j’exagère un peu quand je dis que ces gens vont lire. En réalité ils liront deux ou trois poèmes, comme on lit de la prose, et ne retiendront in fine que les violons de l’automne qu’ils ont appris à l’école. On ne se refait pas.

    Mais venons-en aux faits. Il suffit d’ouvrir Verlaine au hasard pour tomber sur des textes d’une ahurissante médiocrité. Depuis on a certes fait bien pire (notamment parce que la poésie, sous l’influence d’auteurs comme Verlaine, a perdu tout repère), mais que dire de ces vers sans rythme, hachés, qui demandent au lecteur de compter laborieusement sur ses doigts pour reconnaître le mètre utilisé ? Que dire de ces vers abscons, illisibles, qui demandent plusieurs relectures pour être compris, qui expriment de façon si compliquée des choses simples ?

    Las ! je suis à l’Index et dans les dédicaces

    Me voici Paul V… pur et simple. Les audaces

    De mes amis, tant les éditeurs sont des saints,

    Doivent éliminer mon nom de leurs desseins,

    Extraordinaire et saponaire tonnerre

    D’une excommunication que je vénère

    Au point d’en faire des fautes de quantité !

    Vrai ! si je n’étais pas à ce point désisté

    Des choses, j’aimerais, surtout m’étant contraire,

    Cette pudeur du moins si rare de libraire.

     

    Comble pour un poème, je m’en aperçois en le recopiant, il est plus facile de mémoriser ces vers en ne les lisant pas comme des vers. Voici la trouvaille de Verlaine : des alexandrins qui, pour ne pas être trop durs à lire, doivent se lire comme de la prose. Belle invention, en vérité ! Comment s’étonner qu’avec un modèle pareil notre poésie soit devenue une sorte de prose qui retourne à la ligne ? Comment s’étonner que la plupart des français ne sachent plus déclamer des vers, quand on leur donne à voir des poèmes de ce genre ?

    Cette désarticulation du vers est d’autant plus condamnable qu’elle n’est pas le fait d’un manque de talent. Verlaine sait parfaitement versifier quand il le veut. Il compose délibérément des vers hachés, saccadés, illisibles, imprononçables, par paresse et par idéologie. Des « vers délibérément faux exprès » comme il disait en parlant de Rimbaud. On me dira que tout grand artiste fait parfois de mauvaises œuvres, ce qui est vrai. Mais la majorité des textes de Verlaine (les poèmes saturniens mis à part) est de cette eau là.

     

    Venons-en à Rimbaud, dont les premiers textes sont clairement parnassiens (un paradoxe, quand on sait que les poètes parnassiens sont aujourd’hui largement relégués au purgatoire), pour ensuite évoluer de façon plus originale, et aboutir avec les Illuminations, recueil de poème en prose dont l’influence sur la poésie contemporaine est immense. Hélas, il suffit d’ouvrir ces fameuses Illuminations pour se rendre compte que même si c’est du Rimbaud, c’est un parfait charabia :

    « Dimanche

    Les calculs de côté, l’inévitable descente du ciel, et la visite des souvenirs et la séance des rythmes occupent la demeure, la tête et le monde de l’esprit.

    - Un cheval détale sur le turf suburbain, et le long des cultures et des boisements, percé par la peste carbonique. Une misérable femme de drame, quelque part dans le monde, soupire après des abandons improbables. Les desperadoes languissent après l’orage, l’ivresse et les blessures. De petits enfants étouffent des malédictions le long des rivières. –

    Reprenons l’étude au bruit de l’œuvre dévorante qui se rassemble et remonte dans les masses. »

     

    Les spécialistes déploient depuis longtemps des trésors d’inventivité pour défendre leur favori, à la manière de théologiens qui essayent de vous prouver l’inverse de l’évidence. Cette poésie n’est pas illisible, non, elle n’a simplement pas de sens. Elle ne se comprend pas, mais tant mieux, ça ouvre des horizons interprétatifs (comprenez : on peut y voir ce qu’on veut et délirer à plein régime). Et ainsi de suite. Comme si l’on pouvait prendre plaisir à lire des textes qui n’ont pas de sens. Pourquoi ne pas lire de droite à gauche tant qu’on y est ? ça peut amuser un moment, mais ça lasse très vite.

    Ce qui se cache derrière Verlaine et Rimbaud, c’est la destruction de la forme et du sens. La poésie contemporaine, qui se réclame d’eux à corps et à cri, en est la preuve vivante (si j’ose dire). Résultat : un galimatias généralisé, du surréalisme à nos jours. Des pseudo-vers qui ne sont plus qu’un retour à la ligne, des vers de mirliton sans rythme, qu’on doit compter sur ses doigts ou se résigner à lire comme de la prose. Une poésie reléguée au placard de la littérature, aussi bien par les éditeurs que par les lecteurs.

     

    Verlaine et son ami, sans être les seuls coupables, sont largement responsables de cette situation, puisqu’ils ont fait glisser la poésie sur une pente qu’elle n’a cessé de descendre depuis. Il est nécessaire de faire ce constat, que même les plus grands contempteurs de la poésie contemporaine se refusent à faire aujourd’hui.

  • Philippe Jaccottet dans la Pléiade

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     Cela fait longtemps que je ne me faisais plus d’illusions sur la collection la Pléiade. Vous savez, ces ouvrages hors de prix édités en papier bible. Mais là, divine surprise, ils viennent d’éditer Philippe Jaccottet. Le seul poète français vivant de la collection. On ne plaisante plus là, c’est du sérieux. « Triomphe de la poésie » ! « Vigie du visible » ! « Solennel et grandiose » ! Nos amis journaleux, toujours prêt à bêler les leçons du système, ne tarissent pas d’éloges. Sauf que les œuvres de votre Jaccottet, désolé de le dire, c’est de la merde en barre. Vérité implacable, que mon pragmatisme littéraire m’oblige à exprimer.

    Au menu : textes abscons, dépourvus de toute musique, de toute mélodie, de tout rythme. Bref, un bordel illisible, sans forme ni fond (comme toujours quand on sacrifie l’une à l’autre), et que personne ne lira vraiment. Si l'une de vos connaissances prétend le contraire, demandez-lui donc de vous réciter un poème de cet auteur. Au mieux, vous aurez un de ces fragments dégoulinants de snobisme semblables à ceux que citent les journalistes :

    « Soudain, il semble que tout devienne plus ample, plus léger, plus respirable. […] Maintenant le faible revit, se reconstitue. »

    « Ce sont des perles parmi l'herbe

    de nacre à mesure plus rose

    que les brumes sont moins lointaines »

    J’en passe et des meilleures. Pas besoin d’être passionné de poésie pour voir que l’on nage dans l’imposture la plus complète. On est, au mieux, dans le verbiage pseudo-philosophique.

    Verlaine disait qu’il aimerait bien voir ses poèmes mis en musique. Théodore de Banville estimait que pour qu’un poème en soit un, il devait pouvoir être chanté. Qui imagine pouvoir chanter un poème de Philippe Jaccottet ? Ces phrases plates, prosaïques au possible, qui essayent parfois de donner l’impression du vers par un misérable retour à la ligne qui ne trompe personne, ne peuvent évidemment accueillir aucune mélodie.

    Il faut toute l’autorité de pseudo-spécialistes et de pseudo-artistes experts en charabia postmoderne pour appeler cela de la poésie. Leur conception de l’art : Déblatérer des paroles incompréhensibles mêlées de platitudes, avec retour à la ligne facultatif tous les 10 mots. La charmante décadence.

    Non, la poésie ne triomphe pas. On en édite de moins en moins. Plus personne n’en lit. Célébrer en grande pompe un auteur qui reste confidentiel et dont les textes sont chiants comme des sermons dominicaux n’y change rien. La soit disant poésie contemporaine, c’est incroyable à dire, est en réalité moins proche de la poésie des siècles passés que la dernière des chansons qui passe en discothèque. Que la Pléiade s’en rende compte ou non.

    On ne sait pas trop qui aura le courage herculéen de lire 1780 pages de ce galimatias, qui ressemble à une traduction d'auteur bulgare. La famille, les amis, quelques hurluberlus branchés ? La plupart feront semblant, et liront ça en diagonale, comme des étudiants avec une lecture obligatoire. Ils retiendront par cœur deux ou trois phrases, pour faire illusion, à l'instar de nos amis journalistes.

  • Comment choisir ses lectures ?

     

    belle liseuse, Julian Mandel
    D’après les critères des médias, un bon lecteur est quelqu’un qui lit beaucoup. Ce qu’ils oublient souvent de dire, c’est que la qualité joue aussi. Enfin, évidemment, si Albin Michel et Cie veulent écouler les dernières merdes de la rentrée littéraire, faut pas le crier trop fort.

    Beaucoup de gros lecteurs ont une culture littéraire proche de zéro, parce que leur choix de livres est nul. Romans à l’eau de rose, heroic fantasy à la noix, polars, science fiction, auteurs bobos. Résultat : même en lisant deux heures par jour, ces malheureux ne dépassent guère le niveau intellectuel du plouc  « foot-bagnoles-ciné-musique ». Autant regarder Michel Drucker à la télé.

    D’où un constat net, tranchant, sans approximations, à encadrer en lettres d’or : il est primordial de bien choisir ses lectures. Pas besoin de lire 50 livres par an pour avoir une solide culture littéraire (même si ça aide). Voici donc quelques clés.

    -Fuyez comme la peste la merde commerciale ambiante : rentrée littéraire, littérature de genre (polar, science fiction, eau de rose, heroic fantasy…), etc. C’est moins divertissant qu’un vrai livre, souvent moins bien écrit, moins enrichissant, bref aucune raison de s’infliger ce genre de torture. Vous aimez en lire d’habitude ? ça se soigne. Des gens habitués au fast-food peuvent parfaitement réapprendre à manger avec quelques bons restaurants. Au pire, faites-vous une faveur de temps à autre, mais sans excès.

    -VARIEZ vos lectures. Variez les auteurs, les genres, les époques autant que possible. Vous pouvez bien sur avoir des centres d’intérêts majeurs, la poésie par exemple, ou la littérature de telle époque ou tel pays, mais il est important de ne pas s’y enfermer, au risque de ressembler à certains professeurs d’université, auxquels on parle chinois dès qu’on évoque quelque chose qui sort de leur domaine d’études.

    -Ne vous limitez pas au roman (ça recoupe le point précédent, mais j’insiste) : pour la plupart des gens aujourd’hui, littérature rime avec genre romanesque. Lâchez-vous, lisez de la poésie, du théâtre, de la philosophie, de l’histoire, des discours, des nouvelles, des récits de voyages. La littérature est d’une richesse inouïe, pourquoi donc ne pas en profiter ? Ce qui est génial, c’est qu’avec le temps passé à lire un seul roman de 300 pages, on peut lire 4 ou 5 petits livres. Ça passe mieux, et c’est bien plus intéressant (et plus varié…).

    -Lisez des classiques. « Il me semble que jusqu’à ce qu’un homme ait lu tous les livres anciens, il n’a aucune raison de leur préférer les nouveaux» disait Montesquieu. C’est évidemment un peu exagéré, mais globalement, il est absurde de connaître par cœur tel scribouillard contemporain et de n’avoir jamais lu Homère ou Victor Hugo. L’idéal est d’avoir une base antique (les auteurs grecs et latins en particulier), car ce sont évidemment les œuvres qui ont exercé la plus grande influence. Beaucoup de nos contemporains zappent tout cela allègrement, pour se limiter aux productions du 20ème siècle, qui n’est entre nous pas le plus brillant d’un point de vue littéraire.  Avec ce genre d’enfantillages, on finit con comme un panier troué. Connaître les classiques, en outre, vous permettra d’échanger plus facilement, puisque cela vous donnera des lectures communes avec d’autres personnes.

    Une fois ce socle établi, on peut lire des auteurs moins célèbres, élargir ses connaissances en piochant dans des domaines que l’on ne connait pas, ou approfondir les choses en lisant des études sur des œuvres que l’on aime, des biographies d’auteurs qu’on apprécie. Ainsi, vous vous forgerez un parcours de lecture unique.